Résultats (phase 1)
Le rapport final de la première phase de projet a été livré en mai 2020. Sa publication a débouché sur un rapprochement avec la Fédération romande de consommateurs (FRC) sur les questions de F2P (voir CP), la traduction et la diffusion en suisse alémanique de plusieurs factsheets et un enrichissement de la réflexion autour de l’avant-projet de loi fédérale sur la protection des mineurs en matière de films et de jeux vidéo (LPMFJ).
Volet quantitatif
- Avant l’ouverture aux jeux de casino en ligne, les joueurs de JHAL en suisse étaient en très grande majorité des joueurs de jeux de loterie, de tirage, de grattage et/ou de paris sportifs. Pris ensemble, ces types de jeux ont été pratiqués par plus de neuf joueurs sur dix. Le poker et les autres formes de jeux étaient minoritaires.
- L’analyse des plateformes en ligne utilisées par les joueurs a montré des différences assez nettes sur le choix de l’offre : les jeux de loterie, de tirage ou de grattage étaient pratiqués presque uniquement sur les plateformes nationales, alors que pour les paris sportifs, l’offre étrangère était privilégiée par presque deux parieurs sur trois.
- Les paris sur les marchés financiers sont une pratique qui peut être apparentée aux jeux de hasard et d’argent. La part de personnes qui ont dit pratiquer ce type de paris n’est pas négligeable — plus d’un joueur sur vingt — pas plus que les dépenses qui ont été rapportées par ces joueurs avec ce type de JHAL.
- Trois joueurs en ligne de JHA sur cinq n’avaient pas pris part à des jeux d’argent offline au cours des 12 mois précédant l’enquête. Ceci montre que sur la base des réponses des joueurs de JHAL de notre échantillon, il est peu probable qu’en Suisse la population des joueurs en ligne soit la même que la population de joueurs dits terrestres. Cette conclusion a de fortes implications pour ce qui concerne la prévention, le dépistage des problèmes et l’intervention à l’aide des joueurs vulnérables.
- Presque un joueur sur dix ayant pratiqué des jeux de hasard et d’argent en ligne (JHAL) a rapporté des problèmes modérés ou sévères en lien avec les jeux de hasard en ligne.
- Dans le cadre de notre échantillon, les joueurs à risque modéré et les joueurs problématiques sont à l’origine d’une partie importante — un peu moins de la moitié — des revenus des JHAL.
- Les jeux Free-to-Play (F2P) n’apparaissaient pas au moment de l’étude être un problème d’envergure d’un point de vue financier pour les personnes ayant participé à l’enquête. Il n’en demeure pas moins que divers problèmes en lien à ce type de jeux vidéo sont rapportés.
Volet qualitatif (Section B)
- Les moyens de prévention mis à disposition par les opérateurs de jeux d’argent dans le cadre de leur politique de « jeu responsable », notamment l’information, les dispositifs de préengagement et les tests d’autoévaluation, n’ont été utilisés par aucun des joueurs de JHAL interviewés.
- Les jeux d’argent ne sont pas pour autant considérés, par nos interlocuteurs, comme une activité sans risque : la majorité d’entre eux ont rapporté mettre en œuvre des stratégies d’autocontrôle et disent s’imposer des limites sur les montants engagés, leur fréquence de jeu, voire le type de jeu sur lequel ils sont prêts à jouer.
- S’agissant des jeux F2P, nos interviews ont mis en évidence deux modalités alternatives aux microtransactions pour l’acquisition de biens virtuels dans les jeux vidéo : l’accomplissement de mission/de tâches (le Grinding) et le visionnage de publicité (View to Play).
- La pratique du Grinding, comme substitut aux microtransactions, requiert énormément de temps de la part des Gamers. Cette variable, du temps consacré aux jeux F2P, semble essentielle pour la compréhension des dépenses effectuées par les joueurs.
- Parce que les jeux F2P peuvent conduire à des dépenses importantes, voire incontrôlées, en argent (via les microtransactions) ou en temps (via le Grinding), plusieurs interlocuteurs nous ont fait part — de manière similaire à ce qui a été constaté avec les JHAL — de la mise en œuvre de stratégies d’autocontrôle qui visaient à limiter le temps passé ou les sommes dépensées.
- Plusieurs interlocuteurs ont désigné, sous l’appellation « Pay-to-Win » (P2W), certains jeux gratuits (comme Candy Crush par ex.) qui se caractérisent par la possibilité d’effectuer pendant le jeu des microtransactions qui augmentent considérablement les chances de gagner par rapport aux joueurs qui ne paient pas. Ils ont évoqué également la nature changeante de ces jeux qui au début sont basés sur l’adresse, puis sur l’argent que les joueurs sont prêts à dépenser.
- Interrogés sur leur utilisation d’une forme particulière de microtransactions, les Loot Boxes, nos interlocuteurs se sont montrés conscients de leur proximité avec les JHA. Toutefois, à aucun moment la pratique de certains éditeurs de jeux qui consiste à proposer des objets dans les Loot Boxes — non pas d’une façon véritablement aléatoire — mais sur la base d’une analyse des comportements de jeux des joueurs n’a été évoquée par les personnes interrogées. Ceci laisse entrevoir un manque réel d’information de la part des joueurs-consommateurs sur les mécaniques de monétisation des jeux vidéo auxquels ils participent et pourrait soulever des questions en termes de droit de la consommation.
- Enfin, presque la moitié des personnes interviewées, qu’elles soient actives sur les jeux vidéo ou les jeux d’argent, ont fait référence à des périodes de leur vie durant laquelle elle jouait plus ou, à l’inverse, d’autres périodes durant lesquelles elle jouait moins. Assez logiquement, ces variations sur le plan de l’intensité du jeu (sommes misées, temps consacré aux jeux vidéo ou d’argent) ont été mises en relation avec des périodes et/ou évènements personnels ayant eu un impact direct sur le pouvoir d’achat (argent à disposition en sus des frais non compressibles) ou sur le temps à disposition pour jouer.
Volet exploratoire et prospectif (Section C)
- En Suisse, seules les personnes majeures (+18 ans) sont autorisées à jouer à des jeux d’argent en ligne. À l’inverse, il n’existe aucune base légale fédérale pour l’encadrement des jeux vidéo.
- Avec les jeux vidéo F2P qui proposent des microtransactions, la question de l’âge et en particulier de la capacité de discernement des acheteurs de biens virtuels se pose avec beaucoup d’acuité. Ceci est singulièrement vrai pour les Loot Boxes et les jeux dits Pay-to-Win qui ont été décrits par la littérature comme des modalités particulièrement agressives de monétisation des jeux vidéo.
- D’autres dispositifs qui simulent les jeux d’argent, comme les Free Money Gambling, soulèvent également des inquiétudes en matière de protection de la jeunesse. De tels jeux, non seulement « enseignent et encouragent les jeux de hasard » (dixit PEGI), mais favoriseraient la migration vers les jeux en argent réel et seraient susceptibles de conduire à un jeu problématique par la suite.
- De manière plus générale, l’ensemble des jeux F2P incorporent de nombreuses mécaniques qui poussent les Gamers à effectuer des microtransactions. Pour décrire cette transformation à l’œuvre dans le domaine des jeux vidéo, plusieurs auteurs parlent de « Gamblification du Gaming » — de par l’importance croissante du rôle pris par l’argent au détriment de la centralité de l’adresse des joueurs.
- Certains éditeurs de F2P arrivent, sur la base d’une analyse en direct des comportements de jeux des Gamers, à individualiser — à l’insu de ces derniers — le prix et les biens virtuels qui sont proposés dans le cadre du jeu. L’utilisation du Big Data à des fins de manipulation n’a été que récemment établie. Elle soulève des questions importantes en termes éthiques (protection des joueurs vulnérables) et juridiques (protection des consommateurs).
- Dans l’univers des jeux d’argent en ligne (JHAL), un phénomène inverse est à l’œuvre. Dénommé « Gamification du Gambling », il est se caractérise par l’application du design et des mécaniques des jeux vidéo (F2P) aux jeux d’argent sur Internet.
- Depuis peu, les jeux d’argent en ligne ressemblent à s’y méprendre à n’importe quel jeu vidéo gratuit (F2P). Il s’agit pour l’industrie des jeux d’argent de conquérir un public plus jeune et plus féminin en utilisant les mêmes recettes éprouvées des F2P. Ces similitudes sont de nature à favoriser la confusion et les fausses croyances chez les joueurs les plus vulnérables.
- Dans le cadre de la Gamification des JHAL, ce n’est pas que l’esthétique et les mécaniques de monétisation des F2P qui ont été reprises, mais également l’utilisation du Big Data à des fins marketing; ce qui pourrait créer un défi de taille aux régulateurs de JHA.
LA RECHERCHE phase 1
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